Chronobiologie et nutrition
 

Les enquêtes épidémiologiques, comme celles qui démontrent l’intérêt du régime crétois (à ne pas confondre avec le régime méditerranéen), qui garantit aux individus qui le suivent un très faible risque d’accidents cardiovasculaires. Ces enquêtes permettent d’ affiner les apports relatifs optimaux des trois groupes de nutriments que sont les glucides, les lipides et les protides, et démontrent l’intérêt des acides gras insaturés comme ceux du groupe oméga 3. Mais les résultats des interventions alimentaires pourraient sans doute être améliorés.

L’étude scientifique des besoins alimentaires à partir du métabolisme de base et de l’activité physique. Ici encore, les résultats pourraient être améliorés en tenant compte du taux de renouvellement de chaque molécule physiologique. En fait, ces résultats sont difficiles à interpréter directement, en raison d’une part des variations individuelles liées à la génétique de chaque individu, d’autre part de la mise en oeuvre de mécanismes de compensation, voire d’anti-gaspillage de l’ organisme.

Prenons l’exemple de l’iode alimentaire nécessaire à la synthèse des hormones thyroïdiennes. Un apport de 125 μg par jour en moyenne est nécessaire mais en fait, il faut raisonner sur une semaine (on ne mange pas des produits de la mer tous les jours). De plus, si l’apport est insuffisant (jusqu’à 75 μg/j), l’élimination urinaire est réduite, assurant le maintien de taux circulants convenables de TSH et d’ hormones T3 et T4 malgré des apports en iode inférieurs à 125 μg/jour. Peut-on alors parler de déficit ? de subcarence ?

En fait, ces deux approches oublient la chronobiologie, et un grand nombre de nutritionnistes la négligent même au point d’affirmer que l’ important, c’est de couvrir les besoins sans s’occuper du moment de la prise des aliments !

Cette attitude fait abstraction d’idées simples et pourtant vérifiées. Ainsi, la prise d’une quantité importante de glucides le soir risque d’entraîner un surpoids (il ne s’agit que d’un risque, puisque tous les individus ne répondent pas de la même façon à ce régime, ce qui souligne le rôle des facteurs génétiques).

Une autre preuve clinique de l’importance de la chronobiologie de la nutrition nous est apportée dans la détection du diabète insulinodépendant. Une épreuve d’hyperglycémie par voie orale réalisée l’ après-midi peut faire conclure à un diabète, alors que les résultats sont normaux si l’épreuve a lieu le matin d’où la formule de Lestradet « diabète du soir : espoir ».

De même, le traitement par l’insuline doit respecter des recommandations précises pour la répartition des doses au cours du nycthémère :

  • les besoins en insuline sont plus importants dans le milieu de la journée,
  • l’effet hypoglycémiant de l’insuline est maximal le matin et minimal au coucher,
  • le rythme circadien de l’insuline passe par un maximum vers 14 heures et une vallée à 2 heures du matin.

En somme, chez le diabétique, des injections d’insuline répétées et adaptées aux repas sont supérieures à l’utilisation d’une forme retard, voire de pompes, si l’on ne tient pas compte du confort du patient.

Les autres paramètres de la chronobiologie de la nutrition sont malheureusement peu étudiés. Nous sommes souvent obligés de suivre le simple bon sens dans l’attente d’études cliniques bien faites.

L’alimentation au rythme de trois hormones

Toutes les hormones suivent un rythme circadien, auquel s’ajoutent des rythmes ultradiens (inférieurs à 24 heures). D’où une extrême complexité, d’autant que chaque hormone interagit avec les autres de façon synergique ou antagoniste. Trois hormones, dont nous connaissons plus ou moins bien le rythme mycthéméral, ont une grande influence sur la prise alimentaire et l’utilisation des nutriments : le cortisol, l’insuline et l’hormone de croissance.

Le cortisol, son rythme circadien et les nutriments

Le rythme circadien du cortisol est sans doute le mieux connu de toutes les hormones. Le taux circulant de cortisol est très faible la nuit et s’élève à partir de six heures du matin pour une acrophase à 8 heures. Dans le courant de la journée, il existe un rythme ultradien avec une libération pulsatile, toutes les 90 minutes. Des libérations plus importantes sont observées vers 12 heures, 16 heures et 20 heures. Les pics les plus importants correspondent donc aux heures des repas (goûter inclus) mais persistent même si on saute un repas.

Cortisol, nutriments et métabolisme

Le cortisol agit généralement comme un inducteur de la formation d’ARN messager et de l’expression de protéines, en particulier d’ enzymes.

Cortisol... et protides

Le cortisol augmente la formation des protéases intra- et extracellulaires, accroissant le catabolisme des protéines musculaires, avec libération des acides aminés dans le sang circulant. De plus, le cortisol diminue le transport des acides aminés vers les cellules à l’exception de celles du foie. Il en résulte un accroissement des acides aminés dans le sang et dans le foie, ce qui entraîne une stimulation de la néoglucogenèse à partir des acides aminés glucoformateurs. En résumé, le cortisol, en particulier le pic du matin, entraîne une perte protéique (balance azotée négative) au profit d’une synthèse de glucose.

... et glucides

Le cortisol augmente la glycémie à huit heures du matin, même si le sujet reste à jeun, à la fois par la néoglucogenèse déjà signalée et par l’hydrolyse du glycogène hépatique. Celuici est formé au cours de la période diurne et il restitue le glucose pendant la période nocturne, avec une acrophase au petit matin sous l’action du cortisol. L’effet hyperglycémiant du cortisol est synergique de l’action de l’adrénaline et du glucagon. Il est antagonisé par l’insuline.

... et lipides

Le cortisol active les lipases, entraînant une lipolyse avec libération des acides gras libres et du glycérol. Ici encore, cet effet est inverse de celui de l’insuline.

Par ailleurs, le cortisol est un inhibiteur des facteurs de croissance et en particulier de l’IGF1 (Insuline Growth Factor 1) qui, comme son nom l’indique, agit comme l’ insuline.

Tous ces effets peuvent être modulés par les apports alimentaires

L’absorption de protéines le matin diminue l’effet protéolytique du cortisol. De même, des lipides le matin réduisent son action lipolytique. Enfin, des glucides diminuent la néoglucogenèse.

L’insuline : hypoglycémiante... et lipogène

De façon assez surprenante, malgré les travaux sur le diabète insulinodépendant, il existe peu de travaux sur le rythme nycthéméral de l’insuline.

L’hyperglycémie modérée provoquée par le cortisol est suivie d’un pic d’insuline le matin vers 9 heures. La sécrétion d’insuline matinale est ainsi retardée par rapport à celle du cortisol.

L’acrophase de l’insulinémie est observée vers 14 heures. Quant aux autres pics de sécrétion, à 18 heures et 21 heures, ils sont plus petits, voire pratiquement inexistants (celui de 18 heures) en l’absence de repas. Mais ces élévations de l’insulinémie commencent toujours avant les repas, sans doute sous l’effet des petits pics de cortisol. Le glucostat hypothalamique, qui est responsable de la sensation de faim, est vraisemblablement stimulé par l’hypoglycémie induite par la sécrétion primaire d’insuline.

En dehors des variations de la sécrétion de l’insuline, intervient un second facteur capital pour son effet sur les glucides : les variations de la sensibilité des récepteurs à l’hormone.

Le matin, ces récepteurs sont très sensibles : c’est donc à ce moment que le risque d’hypoglycémie est le plus grand, malgré une sécrétion modérée d’insuline (cas des hypoglycémies des 11 heures pour ceux qui n’ont pas pris un petit-déjeuner suffisamment copieux).

À 14 heures, lors de la plus forte sécrétion d’insuline, les récepteurs sont peu sensibles : cette insulinorésistance naturelle implique de recommander un repas du midi moins riche en glucides que celui du matin.

Le soir, les besoins en glucides sont minimum, car d’une part le pic d’insuline est moindre, et d’autre part les récepteurs sont résistants. L’insulinorésistance dans la journée est accrue par la prise le matin de glucides rapides (sucre, miel ou confiture). À l’inverse, la consommation de glucides lents n’entraîne pas de résistance des récepteurs à l’insuline.

L’insuline, seule substance physiologique hypoglycémiante, est également l’ hormone de la lipogenèse. Cette lipogenèse a lieu par conséquent le jour, alors que la nuit, où l’insulinémie est au plus bas, on observe une lipolyse. La lipogenèse a lieu au niveau des adipocytes et le substrat de départ est le glucose, métabolisé en acétyl-CoA.

Des apports en glucides adaptés à la réponse insuli-nique, le matin, le midi voire à 17 heures, repré-sentent une source de maté-riaux énergétiques et ne servent que peu à la lipogenèse (en quantités raisonnables !). À l’inverse, le soir, les besoins énergétiques sont faibles et les récepteurs insuliniens résistants : un apport en glucides important au dîner entraîne une forte lipogenèse que la lipolyse nocturne ne pourra compenser, donc une prise de poids (pour un apport quotidien total identique).

Sur les protéines, l’effet de l’insuline est inverse de celui du cortisol. Elle augmente le transfert des acides aminés à travers les membranes et se comporte comme un anabolisant.

L’hormone de croissance : grandir en dormant

L’acrophase de l’hormone de croissance (GH, ou somatropine) est située la nuit entre 2 et 4 heures du matin (on grandit bel et bien en dormant), alors que le creux est situé vers 12 heures. Il existe cependant une relation étroite mais inverse entre la somatropine et l’ insuline. Une hypoglycémie insulinique stimule la libération de GH. Celle-ci inhibe la synthèse d’insuline (la nuit, la synthèse d’insuline est très faible).

Sans entrer dans le détail, l’hormone de croissance :

  • augmente la synthèse protéique,
  • accroît la multiplication cellulaire (dans la plupart des tissus, le nombre de mitoses est maximal vers 1 heure du matin ; c’est à ce moment qu’une plaie cutanée cicatrise le plus vite),
  • favorise la régénérescence des membranes phospholipidiques des cellules (c’est la nuit que sont incorporés dans les membranes les acides gras, en particulier les poly-insaturés, apportés par l’alimentation du soir).

Quel est le bon rythme pour un régime ?

La sensation de faim suit un rythme ultradien, avec des pics toutes les trois à quatre heures selon les individus.

Ce rythme est observé non seulement lors de la prise normale des repas, mais également lors d’une diète hydrique. Les centres de régulation sont les noyaux hypothalamiques ventromédians et supra-chiasmatiques (proches du chiasma optique). Les facteurs qui influent sur ces centres ne sont pas encore tous connus ; la glycémie est un facteur important mais loin d’être exclusif.

Le nombre de calories quotidiennement nécessaires est défini par le métabolisme de base, l’activité physique et intellectuelle et les pertes par thermogenèse, postprandiale en particulier. De même, les pourcentages de calories que doivent apporter les différents macronutriments - glucides (50 - 55 %), lipides (30 - 35 %) et protides (15 %) - sont maintenant admis pour un individu dont l’indice de masse corporelle (IMC = poids/taille2) est normal selon nos critères actuels (< à 25).

Bien sûr, ces chiffres varient lorsqu’il s’agit de mettre en place un régime hypocalorique chez un individu obèse. Il faut conserver un certain apport protéique et lipidique pour éviter le risque de carence en acides aminés essentiels et en acides gras polyinsaturés ; par conséquent, le pourcentage de glucides doit diminuer.

En chronobiologie, nous nous posons aussi la question de savoir à quel moment de la journée il faut apporter ces nutriments, pour optimiser l’efficacité du régime. Et le problème se complique considérablement si l’on étudie parallèlement les apports en micronutriments (éléments traces et vitamines).

Conclusion : de la chronophysiologie à la chronodiététique

En pratique, l’alimentation devrait être adaptée aux rythmes biologiques du cortisol, de l’insuline et de la somatropine (sans compter celles que nous avons négligées pour simplifier, mais dont le rôle est loin d’être négligeable : les hormones thyroïdiennes augmentent le métabolisme de base, les hormones sexuelles sont anabolisantes...).

Le matin, prendre des glucides lents (pas de rapides), des lipides et des protides. Autrement dit, mélanger le petit-déjeuner continental et le breakfast anglo-saxon : pourquoi pas du pain, du fromage, du beurre, plus un oeuf deux à trois fois par semaine. Ces apports seront utilisés essentiellement comme source d’énergie. De plus, le cholestérol de ces aliments bloque la synthèse endogène puisque l’activité maximale de l’HMG-CoA réductase, enzyme clé de la synthèse du cholestérol, est observée au petit matin. Plusieurs études ont d’ailleurs prouvé que la prise de cholestérol le matin diminuait le taux circulant de ce stérol.

À midi : viande (maigre de préférence) et glucides en quantité limitée. Il faut bien sur penser aux fibres et aux fruits et légumes frais.

À 5 heures, ne pas négliger une collation avec des glucides en quantité limitée (fruits). Le soir, protides et acides gras poly-insaturés (poissons gras et huile de colza... sans oublier des fibres.

Cette approche chronobiologique de la nutrition, dans laquelle les apports alimentaires conseillés sont respectés, seul le moment de la prise de tel au tel aliment étant fixé selon notre rythme biologique, en est encore à son début.

De nombreux travaux seront nécessaires pour démontrer les effets bénéfiques à long terme d’une telle alimentation (diminution des risques cardiovasculaires, voire cancéreux...).

Mais déjà, à court terme, les résultats sont spectaculaires : les obèses maigrissent, les maigres prennent du poids avec des constantes biologiques stabilisées (en particulier le cholestérol et les triglycérides) et dans tous les cas, les individus se sentent mieux et sont plus dynamiques. En pratique courante, ce mode d’alimentation est cependant difficile à mettre en oeuvre en raison des contingences et habitudes socioculturelles et économiques.

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