L’ere des
« papyboomers »
 
La pilule de l’érection !
Depuis l’autorisation de la mise sur le marché aux Etats-Unis par la Food & Drug Administration de la première thérapie orale contre l’impuissance, le 27 mars 1998, les demandes de prescription explosent... Le citrate de sildenafil commercialisé sous le nom de Viagra fascine non seulement les 30 millions d’hommes atteints de dysfonctionnement sexuels, mais (sans l’avouer bien sûr) la majorité de la gent masculine. Après les années Prozac pour oublier la crise, les années Viagra célèbrent le retour à la croissance (économique).
Les « papyboomers » sont la génération des 45-55 ans qui ne veulent pas vieillir. En 2005, les premières générations du papyboom prendront leur retraite. Du coup, l’effectif des personnes âgées de 60 ans ou plus va fortement augmenter. Déjà, 79 millions d’Américains ont fêté leur cinquantième anniversaire. En France, les seniors représentent aujourd’hui 30 % de la population, soit un potentiel de 17 millions de consommateurs. Certes, l’avenir du monde occidental sera gris, mais couleur argent... Le niveau de vie d’un couple de jeunes retraités est supérieur de 20 à 30 % à celui des jeunes adultes avec enfants.
Prise entre Peter Pan et Jeanne Calment, les papyboomers veulent conserver leurs fonctions vitales le plus longtemps possible en effaçant les signes du vieillissement, synonymes de limites. Aujourd’hui, on commence à être vieux entre 75 et 80 ans. C’est ce qu’explique Guy Poquet, l’auteur de « Le pouvoir et le rôle économique des plus de cinquante ans », ouvrage réalisé pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) à la demande de « l’ International Longevity Center ». Une aubaine pour les entreprises, qui estiment à 50 milliards de francs le marché français du « papyboom » ! Aux Etats-Unis, ce marché s’élève à 300 milliards de dollars. Industriels, distributeurs et publicitaires courtisent désormais la ménagère de plus de 50 ans. Mais, vêtue de jeans, chaussée de baskets, la sémillante « mamie » ne rêve plus de vieillir au coin du feu...
L’érection dépend d’une enzyme, la GMP, qui favorise la relaxation des muscles du pénis, permettant ainsi au sang d’affluer pour gonfler le tissu érectile. L’impuissance est due à l’action d’une enzyme détruisant la GMP. Conséquence : le tissu érectile ne gonfle pas assez pour bloquer le reflux du sang par les veines. Le Viagra agit en bloquant cette enzyme. 4
La bataille des soins anti-âge
Conserver une apparence juvénile tout en préservant sa vitalité reste la revendication majeure des seniors. L’anti-âge est l’un des axes les plus porteurs d’innovations dans la cosmétique, où 45,2 % des produits de maquillage sont achetés par les seniors (source : Interdéco). En 1997, les Françaises ont dépensé 300 millions de francs en antirides, soit 10 % de plus qu’en 1996. Du coup, la bataille des soins de rajeunissement fait rage. En structurant l’offre en soins préventifs et curatifs, Lancôme (groupe L’Oréal) propose des remèdes de jouvence aux consommatrices de 20 à 77 ans ! Les fabricants de l’éternelle jeunesse ont segmenté leurs recherches sur les trois zones du visage où les effets du vieillissement sont le plus visible : la peau, les cheveux et le contour des yeux, qui, avec 12 000 battements par jour et une peau dix fois plus fine que le reste du visage, vieillit prématurément. Les chercheurs insistent aussi sur les trois facteurs du vieillissement : le froid, la pollution et le soleil. Ainsi, depuis 1997, grâce à une nouvelle génération de crèmes et d’actifs comme le cryocitol, la cosmétique sait maintenir l’épiderme à la même température que le reste du corps. Chanel vient ainsi de lancer Source extrême, une nouvelle crème antifroid. Les laboratoires Liérac, en collaboration avec l’Institut Pasteur, ont mis au point la Systemic Protection Capital Jeunesse, à base d’extraits d’algues marines.
Une place de choix pour les soins capillaires
De fait, tous les laboratoires s’agitent pour trouver les actifs miracles contre le vieillissement cutané. Les premiers résultats de l’étude Suvimax effectuée par Estée Lauder, renforcent leur conviction quant à l’intérêt d’une supplémentation en vitamines antioxydantes. La vitamine E ainsi que la vitamine C, ralentissent l’oxydation de la peau. A forte dose, celle-ci multiplie par huit la synthèse du collagène. Le problème actuel à résoudre est la stabilité des propriétés de cette vitamine, fait remarquer Roche, premier fournisseur de vitamines pour l’industrie de la cosmétique.
Les soins capillaires ne sont pas en restes. Pas moins de 1,6 million de produits antichute ont été écoulés dans les officines en 1997, soit 6 % de plus qu’en 1996. Redynamisé par les innovations de Ducray (Trikostim) et Dercos Technique (Aminexil), ce segment représente désormais 12 % des ventes de produits capillaires en pharmacie. La coloration anticheveux blancs a aussi le vent en poupe. En pharmacie, les ventes ont augmenté de 15 %. Bien décidé à profiter de cet engouement, l’allemand Scharzkopf (groupe Henkel) s’est lancé dans la vente au grand public en 1997.
L’apparence physique ne suffit pas pour rester jeune, encore faut-il voir et entendre correctement. Le marché de l’optique pour les seniors atteint 5,3 milliards de francs et il pourrait dépasser les 10 milliards de francs de chiffre d’ affaires en 2020. Le distributeur d’aides auditives Audika (118 millions de chiffre d’affaires en 1998) compte aussi sur le papyboom. 85 % du marché (personnes ayant des problèmes d’audition et n’étant pas appareillées) n’est pas encore équipé. C’est un potentiel énorme.
L’agroindustrie innove également
Pour que les adultes voient passer les années tout en restant en forme, les industriels de l’agroalimentaire ont cherché à innover... tout en marchant sur des œufs. Car, selon la réglementation, en aucun cas un produit alimentaire ne peut faire état de propriété sur la prévention ou le traitement d’une maladie. D’où les messages volontairement flous des laits fermentés LC1 (Nestlé), Yakult ou Actimel de Danone, qui, pourtant, font actuellement un tabac en Europe.
De son côté, Lactel (groupe Besnier) a lancé voilà deux ans Jour après jour, un lait écrémé aux fibres bifidogènes qui promet notamment le maintien du capital osseux pour les femmes. Résultat : ce produit a conquis 18 % du marché du lait écrémé en bouteille et continue de progresser à un rythme soutenu (+ 30 % au premier trimestre 1998).
Les produits « bons pour le cœur » visent aussi le panier des seniors. Tout comme ceux enrichis en acide gras oméga 3 (EPA/DHA) réputés limiter les risques coronariens (Œufs Matines, Pain Jacquet...). Mais, si les grands de l’agroalimentaire s’intéressent de très près aux effets du vieillissement, comme Nestlé, qui possède un laboratoire spécialisé sur la question dans son centre de recherche de Lausanne, c’est surtout du côté de l’ industrie des compléments alimentaires que fleurissent les innovations. Polyphénols, vitamines et autres antioxydants sont mis à contribution par les fabricants, qui réalisent 420 millions de francs de chiffre d’affaires.
En février 1998, Pierre Fabre a commercialisé Kréto-A, un complément alimentaire qui réunit les principes actifs de l’alimentation en Crète. Une île où la longévité moyenne compte parmi les plus élevées du monde ! L’américain ADM préfère miser sur la vitamine E. Citant le National Institute of Aging, le géant de l’agrobusiness affirme qu’une supplémentation en vitamine E réduit de 27 % les risques de mortalité chez les plus de 65 ans !
Dis-moi la marque de ta voiture, je te dirai qui tu es..
L’industrie de l’automobile examine aussi de près les comportements d’achat des plus de 50 ans. Contre toute attente, ils peuvent faire à la fois le succès des formes rondes et des couleurs flash de la Twingo, pourtant conçue au départ pour une population urbaine et jeune, et se ruer sur le puissant 406 coupé de Peugeot.
Aujourd’hui, ce sont les humeurs des plus de 50 ans qui font et défont le marché de l’automobile français. En représentant aujourd’hui 42 % des acheteurs, contre 32 % dix ans auparavant, ils pèsent lourd. D’autant plus qu’ils restent très fidèles aux constructeurs nationaux. La part de marché des marques françaises sur cette tranche d’âge atteint presque 80 %, contre 58 % en moyenne pour les autres. Même s’ils ne privilégient pas un segment de voiture en particulier, les seniors exigent un niveau d’équipement qui soit le plus riche possible. Et donc des voitures à plus forte marge pour les constructeurs. Car leurs attentes sont claires : confort de conduite, sécurité et... plaisir. Ils n’hésitent plus à s’amouracher d’un coupé à la silhouette sportive. Ainsi, l’âge moyen d’un conducteur de berline classique 406 atteint 46 ans contre 52 ans pour le coupé. L’esthétique du véhicule représente à plus de 80 % la première motivation de l’achat de se véhicule souligne Peugeot. En clair : un achat coup de foudre réservé à une clientèle fortunée. Pour autant, les plus de 50 ans ne se laissent pas griser par n’importe quelle voiture. Rares sont ceux qui s’aventurent au volant d’une cabriolet, jugé peu confortable. Plus généralement, les seniors automobilistes sont tout sauf une tribu sociologique homogène. Si les moins de 65 ans urbains et aisés sont prêts à s’enivrer des plaisirs de la conduite automobile, les provinciaux aux revenus plus modestes restent attachés aux valeurs plus traditionnelles.
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