Les Français,
l’alimentation
et la santé
 
L’importance de l’alimentation dans le développement des maladies aujourd’hui les plus répandues (maladies cardiovasculaires, cancer, ostéoporose, etc.) est bien établie. Les Français sont eux-mêmes sensibles aux liens existant entre alimentation et santé, et la majorité d’entre eux est convaincue que l’alimentation influence directement son état de santé. Les précédentes études – principalement quantitatives – portant sur les représentations, les connaissances et les comportements des Français en matière d’alimentation ont cependant mis en évidence un décalage entre les représentations et les pratiques effectives.
Afin d’optimiser l’efficacité du programme d’éducation nutritionnelle dans le cadre du Programme national nutrition santé (PNNS), le Comité français d’éducation pour la santé (CFES) a souhaité explorer les connaissances, les croyances et les attitudes des Français en matière d’ alimentation et de santé. Grâce à un financement de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), le CFES a confié au département « Consommation » du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) la réalisation d’une étude qualitative sur le thème « Les Français, l’alimentation et la santé » auprès d’un échantillon de personnes de 18 à 50 ans, à Paris et en province.
L’alimentation, au cœur des préoccupations des Français
Les Français déclarent accorder une grande importance à l’alimentation, qui les touche dans leur quotidien et dans leur intimité. Pour la plupart d’entre eux, « la qualité de l’alimentation fait la qualité de la vie ». Leur implication dans l’alimentation résulte d’un cheminement personnel. Certains évènements précis, tels que la vie en couple ou la naissance d’un enfant pour certains, l’apparition de problèmes de santé pour d’autres, ou encore une inquiétude face aux risques alimentaires, ont fait évoluer leur rapport à l’alimentation.
Des attentes contradictoires
Malgré cet investissement symbolique dont l’alimentation fait l’objet, la santé n’ apparaît pas comme un objectif prioritaire de l’alimentation. Les repas sont perçus surtout comme des sources de plaisir, autant gustatif – des repas riches en saveurs – que social – s’entourer de proches, passer un bon moment.
La recherche de plaisir entre en contradiction avec la préoccupation santé qui, quoique secondaire, est bien réelle, notamment chez les femmes et les adultes d’âge moyen. On constate ainsi une tendance à opposer le « bon repas », plutôt copieux, composé d’aliments riches – « pommes de terre, viandes en sauce, coquille SaintJacques, langue de bœuf » - au « manger sain » dont l’image évoque souvent l’univers médical, la restriction et la discipline.
« Tout ce qui est bon au goût est mauvais pour la santé », déplore un enquêté. « Ça me dérange, qu’on me dise quoi faire » est également un reproche fréquemment adressé aux discours nutritionnels.
De plus, alors que les « bons repas » procurent une satisfaction immédiate, les bénéfices escomptés de l’alimentation sur la santé sont éloignés dans le temps et parfois perçus comme hypothétiques. « Il vaut mieux une belle vie de soixante ans qu’une vie triste de quatre-vingt ans », affirme l’ une des personnes interrogées sur le sujet.
Bien plus, pour certains hommes qui défendent une vision épicurienne de l’alimentation, l’argument santé n’a de valeur qu’en cas de maladie avérée, mais n’est pas prioritaire au quotidien : « Moi, je veux bien vivre, je ne fais pas attention, mais je sais que je vais payer : diabète, cholestérol. »
La préoccupation santé s’oppose également à la troisième attente des Français vis-à-vis de l’alimentation : la rapidité / praticité. L’alimentation saine est perçue comme exigeante en temps et en coût, peu adaptée aux modes de vie, et en particulier à la nouvelle condition des femmes : « pour bien bouffer, il faudrait que l’un des deux ne travaille pas ».
Cette vision rejoint en outre une perception plus générale de l’alimentation, dont les différentes étapes – les courses, la cuisine, les repas, la vaisselle – sont vécues comme des corvées à effectuer le plus rapidement possible. Les Français se tournent alors vers l’offre très développée de produits industriels tout prêts, vers la restauration rapide ou à domicile, qu’ils opposent systématiquement à une alimentation équilibrée.
La représentation de l’alimentation saine
Pour les Français, l’alimentation saine se définit autour de trois notions : la naturalité, l’équilibre alimentaire et le rythme alimentaire.
Le premier axe de l’alimentation saine, la naturalité, est symbolisé par l’image du jardin potager ou des produits de la ferme : « les légumes du jardin, les œufs fermiers, la viande de campagne ». Les aliments issus de l’agriculture biologique sont fréquemment cités comme des produits refuge, porteurs de cette naturalité recherchée, quoique leur coût, et de façon plus générale le coût de produits de qualité, soit une contrainte majeure à leur consommation : « un steak chez le boucher est deux fois plus cher qu’au supermarché ».
L’idéal de naturalité rejoint aussi une préoccupation générale sur les risques alimentaires et sur les dérives de l’alimentation de masse, qui conduit bon nombre de personnes à se soucier de la provenance et de la qualité des produits. « Je n’ai rien changé pour le bœuf », nous dit cet enquêté, « mais je fais attention aux légumes issus de l’agriculture intensive et aux OGM qui altèrent la qualité de l’aliment ».
L’équilibre alimentaire est un idéal fortement présent dans les préoccupations de la bonne alimentation, mais il ne recouvre pas une réalité homogène. Plusieurs registres sont en effet évoqués par les enquêtés quand on leur demande de définir ce concept.
Pour beaucoup, « manger équilibré » c’est « manger de tout », afin d’apporter au corps les nutriments (vitamines, protéines etc.) dont il a besoin. Il s’agit d’ abord de « bien associer les aliments entre eux pour avoir une bonne nutrition ». Mais l’équilibre alimentaire se traduit éga-lement par une absence d’excès qui peut rejoindre, chez certaines femmes, un im-pératif de minceur : « dans la tête des gens, manger sainement ça veut dire perdre du poids ».
Ces deux premiers registres sont d’ailleurs intimement liés et l’idée selon laquelle « on peut manger de tout en petites quantités » est largement répandue dans la population interrogée. Cette perception n’ empêche pas cependant un classement des aliments selon leur bonne ou mauvaise image nutritionnelle : si les légumes, les fruits, les viandes blanches, le poisson et l’huile d’olive sont considérés comme des aliments protecteurs, d’autres aliments ou produits, comme les conserves ou les graisses, sont au contraire redoutés, voire stigmatisés. « Le fromage ça fait grossir et ça donne du cholestérol », affirme une personne, tandis qu’une autre se « méfie des conserves, il y a trop de sel ».
Au-delà des types d’aliments et de la qualité, les enquêtés soulignent également l’importance de la préparation des aliments pour favoriser une alimentation saine : « cuisiner à la vapeur, c’est très sain » est une affirmation qui revient fréquemment. Enfin, pour une minorité de personnes, l’équilibre alimentaire ne se définit pas dans l’absolu, mais « peut être différent en fonction des personnes » selon les besoins de l’organisme, l’âge, le sexe, le poids ou l’activité physique.
Autre dimension d’une alimentation saine, qui ressort de cette étude : le rythme alimentaire exprime l’importance accordée aux circonstances entourant la prise des repas, ainsi qu’au nombre et à la fréquence des prises alimentaires. Tout d’abord, pour manger sainement, il faut « se poser, prendre un peu de temps ». Le moment et la durée des prises alimentaires apparaissent comme des éléments indispensables d’une alimentation saine : « manger à des heures régulières » est posé comme une règle de conduite par une majorité d’enquêtés. Mais l’alimentation saine se comprend plutôt à moyen terme : les écarts peuvent être compensés sur la journée, voire sur la semaine, avec l’idée que « l’organisme s’adapte dans le temps ».
Des représentations à la pratique
Même si l’alimentation est une dimension importante de la vie des Français, elle n’ occupe que rarement un pôle prioritaire dans l’organisation de l’emploi du temps, surtout pour les personnes actives qui doivent gérer de front vie professionnelle, vie familiale et vie sociale. Comme le résume cet enquêté, « on fait son emploi du temps par rapport au travail et à ses activités, pas par rapport aux repas ». La diminution du temps dévolu à l’alimentation, déjà relevée lors des enquêtes quantitatives, est également une réalité vécue et ressentie par la population interrogée. « Avant, regrette-t-on, beaucoup de choses se traitaient autour d’une table, aujourd’hui il faut être productif, on vous speede ».
Le décalage existant entre les représentations d’une alimentation saine et les pratiques réelles est flagrant lorsque l’on examine les repas pris la veille. Les Français décrivent ainsi le déjeuner idéal comme un repas complet et pas trop gras, comprenant un légume vert, une viande ou un poisson et un fromage ou un dessert ; dans les faits pourtant, pour la moitié des enquêtés, le repas du midi dépend du temps à disposition et se rapproche souvent du « snacking », avec une préférence pour les produits rapidement disponibles et vite avalés (sandwichs, pizzas).
Le décalage est d’ailleurs clairement perçu par les personnes elles-mêmes – « le midi, c’est impossible de manger sain » –, les principales raisons invoquées étant le manque de temps et la restauration hors foyer.
On retrouve pourtant ce même hiatus au dîner. Idéalement présenté comme un repas léger et complémentaire au déjeuner, les dîners décrits par les enquêtés sont plutôt consistants (pâtes, gratins), riches (charcuterie, fromage, vin) et conviviaux.
« On se prépare à manger, on mange plus copieusement ». La dimension de plaisir est fortement présente : plaisir de retrouver son conjoint, ses enfants, plaisir de se détendre et de décompresser : « le soir on mange plus longtemps, on parle, on discute ».
De manière générale, seule une minorité pense donc qu’avoir une bonne alimentation est à la portée de tous. La plupart des Français estiment au contraire qu’il est très difficile d’avoir au quotidien une alimentation bonne pour la santé. Plusieurs freins sont évoqués et en premier lieu, comme nous l’avons vu, des contraintes collectives (rythme de vie, obligations professionnelles). Quelques personnes mentionnent également des questions de coût, en expliquant que « les choses bonnes pour la santé sont souvent plus chères ».
Réflexions pour l’action
À la suite d’autres études sur le rapport des Français à l’alimentation et à la santé, cette enquête qualitative auprès des 18-50 ans confirme l’importance accordée par la population à ce thème. À travers l’exploration des tensions et des enjeux structurant les liens entre santé et alimentation, des questions émergent, qui sont autant de pistes pour des actions futures :
- Comment prendre en compte, dans les actions nutritionnelles, les diverses attentes des Français à l’égard de l’alimentation ?
- Comment promouvoir l’idée que manger sainement n’est pas forcément synonyme de restriction ou de contrainte ?
- Comment réconcilier une recherche de santé avec des modes de vie perçus comme contraignants par une majorité de Français ?