Les nouveaux droits des patients
 

Vous voulez savoir si votre médecin a un casier judiciaire ? S’il a déjà été condamné pour erreur médicale ? Vous êtes curieux de connaître le montant des dommages et intérêts qu’il a dû verser ? Rien de plus facile : en quelques clics sur Internet, vous saurez tout de ses démêlés avec ses anciens patients. À une condition : que vous habitiez un état américain qui autorise l’accès à ces informations, comme la Californie ou la Floride. En France, impossible de satisfaire à ce point sa curiosité : l’Ordre des médecins ne publie même pas la liste des praticiens interdits d’exercice. Prière, donc, de se contenter du bouche-à-oreille pour se faire une idée des compétences d’un médecin.

Pourtant, jamais les patients n’ont été aussi attentifs au choix des hommes et des femmes qui les soignent. Jamais ils n’ont attendu autant d’une médecine dont les progrès spectaculaires les fascinent. Jamais ils n’ont à ce point exigé réparation, morale ou financière, quand les choses tournent mal - opération ratée, infection contractée à l’hôpital, erreur de prescription, etc.

Galvanisés par la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades, qui les place au coeur du dispositif de soins, ils ne tolèrent plus les à-peuprès, encore moins les échecs. Chaque année, les Français engagent plus de 10 000 procédures, contentieuses ou aimables, via l’une des trois voies de recours : la justice (civile ou pénale), l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) ou l’Ordre des médecins.

« Les usagers se comportent comme des consommateurs »

« L’amélioration des performances conduit à une augmentation des risques », constate Georges David, membre de l’Académie nationale de médecine. Les chiffres le prouvent. En vingt ans, le nombre d’accidents médicaux signalés aux assureurs, du pépin à la faute impardonnable, a enflé. « Pour Le Sou médical, la société qui couvre 70 % des médecins français, les déclarations de dommages corporels ont été multipliées par 2,32 entre 1985 et 2004 », observe Christian Sicot, son secrétaire général. Trio de tête des spécialités à hauts risques : l’anesthésie - réanimation, la chirurgie et l’obstétrique. Selon une enquête publiée en 2005 par le ministère de la Santé, environ 600 000 « événements indésirables » surviendraient chaque année. Entre 350 000 et 450 000 à l’hôpital et de 175 000 à 250 000 dans les cabinets de ville.

Les experts du Sou médical ont fait leurs calculs. Selon eux, chaque chirurgien libéral doit s’attendre à être mis en cause plus de... 17 fois au cours de sa carrière ! « Les usagers se comportent comme des consommateurs, constate Thierry Harvey, gynécologue - obstétricien, chef du service maternité de l’hôpital des Diaconesses, à Paris. Ils attendent des résultats, demandent des comptes. La judiciarisation des relations entre patients et médecins n’est pas un mythe : on est en plein dedans ! »

C’est désormais la hantise des blouses blanches : voir sa carrière brisée par une plainte sans fondement, comme le Dr Jean-Marc Hayoum. Tout a commencé... en 1984. Les parents de Sandrine S., née handicapée, portent plainte contre l’obstétricien de l’hôpital de Castres (Tarn), accusé d’avoir tardé à pratiquer la césarienne. En 2001, le montant des réparations envisagées est enfin fixé par le tribunal administratif : 5 millions d’euros. Début mars 2006, coup de théâtre : le couple abandonne les poursuites. Une énième expertise a montré que leur fille est atteinte d’une malformation congénitale, donc que les conditions de sa naissance ne sont pour rien dans son état.

Néanmoins, faire une fixation sur les affaires qui défraient la chronique serait une erreur. Dominique Martin, directeur de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), introduit une nuance : « Le nombre de contentieux devant les tribunaux est faible, rappelle-t-il, de l’ordre de 6 000 par an. Et il a tendance à se stabiliser, voire à diminuer. En revanche, les procédures de conciliation sont en hausse. »

Une nouvelle voie de recours, gratuite

Depuis quatre ans, les patients victimes d’un accident médical disposent en effet d’une nouvelle voie de recours, gratuite celle-là : les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI), chargées de déterminer s’il y a eu faute du praticien ou non. Si c’est le cas, le dossier est transmis à l’assureur du médecin, qui formule une offre de réparation.

Sinon, c’est l’Oniam qui paie. « Nous voulions éviter la guerre entre patients et médecins », explique le père de la loi, l’ancien ministre socialiste de la Santé Bernard Kouchner. Mission accomplie, selon lui. « En prenant en charge l’aléa thérapeutique - l’accident sans coupable - ce dispositif évite de faire payer les médecins pour des problèmes dont ils ne sont pas responsables. » Cette année, l’attelage CRCI - Oniam aura examiné 3 000 dossiers. Montant moyen des indemnisations : 60 000 euros. « Nous nous attendons à réceptionner deux fois plus de demandes quand le dispositif sera mieux connu, souligne Dominique Martin. Nous recevons des victimes qui ne seraient pas allées devant le juge, car notre procédure est simple, amiable et sans frais. »

S’ils préfèrent la discrétion d’une commission de conciliation à la solennité d’un tribunal, les médecins, eux, se sentent quand même montrés du doigt. À les entendre, les patients pourraient bien en faire les frais : « On multiplie les actes et les examens pour se prémunir contre d’éventuelles poursuites, regrette le Dr Alain Choux, échographiste à Paris. Quitte à faire courir des risques supplémentaires aux gens. Voyez le nombre d’amniocentèses pratiquées chez les femmes enceintes, alors que le geste peut provoquer une fausse couche... »

La plupart des victimes d’accidents médicaux n’en ont cure. Leur souci est ailleurs. Ils demandent une réparation, symbolique ou matérielle.

2 millions d’euros pour une invalidité totale

La colère de Jean-Luc Bernard ne s’est pas calmée avec les indemnités versées par l’assureur de l’établissement. « Ce qui m’importe, assène cette victime de la Clinique du sport, c’est que le chirurgien qui m’a opéré du dos en 1991 soit interdit d’exercice. » Parmi la soixantaine de patients contaminés sur place par la bactérie xénopi, cette bactérie qui ronge les os, il fut le premier à déposer une plainte au pénal. À 48 ans, cet homme qui se tient droit comme un I, malgré ses vertèbres fragiles, voit enfin le bout du tunnel. La clôture de l’instruction est annoncée pour la fin du mois de novembre. Dix-huit ans après les premières contaminations...

Pour avoir manqué, semble-t-il, aux règles d’hygiène et réutilisé du matériel jetable, deux anciens médecins de l’établissement parisien sont mis en examen.

Comme Jean-Luc Bernard, la plupart des patients victimes d’un accident médical se battent d’abord pour voir le médecin reconnaître ses torts. Ils veulent entendre au moins des explications, sinon des excuses. Ceux-là s’engagent généralement dans la voie pénale, longue et coûteuse. Car les tribunaux civils, eux, ne statuent que sur la faute du praticien. Il existe pourtant une autre voie de recours, moins connue, celle de l’Ordre des médecins. Cette institution, Jean-Luc Bernard l’avait d’ailleurs sollicitée, en pure perte. L’Ordre a considéré que les faits reprochés entraient dans le champ de la loi d’amnistie présidentielle promulguée quatre ans après, en 1995. Une fin de nonrecevoir fréquente, puisqu’une nouvelle amnistie intervient à chaque élection. Les médecins, en tout cas, continuent à craindre leurs instances disciplinaires, dont le fonctionnement vient d’ailleurs d’être modernisé. L’an dernier, l’Ordre a distribué au total plus de quarante-trois années de suspension à 139 médecins, soit une moyenne de quatre mois par personne.

Que le médecin soit en faute ou non, le patient dispose maintenant de deux voies de recours pour obtenir une indemnisation en cas de préjudice. Il peut s’adresser à la justice civile, comme les parents de Mathéo, ce garçon de 3 ans né avec un rein gauche déficient. Un chirurgien de la polyclinique de Franche-Comté, à Besançon, lui a retiré le droit par erreur. En attente d’une greffe, l’enfant doit maintenant être dialysé chez lui chaque nuit. Le tribunal de grande instance de Besançon vient d’attribuer 250 000 euros à la famille.

L’alternative consiste à envoyer un dossier à l’Oniam, un dispositif aujourd’hui bien rodé. Cet établissement public vient de verser à un homme jeune, devenu invalide et qui ne pourra plus travailler, une indemnisation record de 2 millions d’euros. Dans son cas, tous les facteurs étaient réunis pour que l’addition soit élevée. « Nous prenons principalement en compte l’aménagement de la maison que le handicap rend indispensable, la nécessité d’être épaulé au quotidien par une tierce personne et le préjudice économique subi », détaille Dominique Martin, directeur de l’Oniam.

Mais l’organisme n’indemnise que les cas les plus graves. Le degré de handicap, qui doit dépasser 24 %, est le critère le plus difficile à remplir. « L’individu qui a perdu un oeil est juste en deçà du seuil, remarque Alain-Michel Ceretti, administrateur de l’Oniam et représentant des usagers. Par contre, celui qui a dû être amputé d’une jambe est éligible, mais seulement si le membre a été coupé au-dessus du genou. » Ces règles seraientelles trop restrictives ? La discussion est ouverte, alors que l’Oniam continue à rejeter chaque année les deux tiers des dossiers. Les Français, pourtant, ne sont pas si mal lotis. Avec les Néo-Zélandais, ils sont les seuls au monde à être dédommagés à la suite d’un aléa thérapeutique.

Le premier procès pénal après un grand scandale

Certains patients ne se battent pas pour la réparation morale, ni pour la compensation financière, mais pour l’exemple. Ceux-là se recrutent parmi les victimes des grands scandales de santé publique. Et ils attendent, fébriles, le premier procès pénal de ce type, qui doit se tenir l’an prochain : celui de l’hormone de croissance. « Je voudrais que mon fils ne soit pas mort pour rien et qu’un tel drame ne puisse pas se reproduire », indique sobrement Jeanne Goerrian, présidente de l’association qui regroupe les familles touchées. Au terme de treize années d’instruction, 108 victimes sont décédées de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ; une autre est dans le coma. 12 personnes sont mises en examen, essentiellement des médecins qui collectaient les hypophyses sur les cadavres ou procédaient à l’extraction de l’hormone.

La santé publique ne serait donc plus le parent pauvre de la justice ? D’autres affaires, dont l’instruction est tout aussi laborieuse, pourraient aboutir à leur tour à des procès : le vaccin contre l’hépatite B, l’amiante, la vache folle, le syndrome de la guerre du Golfe ou la légionellose à l’hôpital européen GeorgesPompidou. Autant de dossiers portés à bout de bras pendant des années par la juge parisienne Marie-Odile Bertella-Geffroy. Aujourd’hui, la pasionaria des hémophiles - qui vit l’affaire du sang contaminé se clore sur un non-lieu - ne travaille plus seule sur un coin de table. Trois autres juges l’ont rejointe au sein d’un pôle santé, créé à Paris en 2003. Sans publicité aucune, une seconde structure de ce type vient de voir le jour à Marseille, sous la houlette de la juge Véronique lmbert. La création d’autres pôles régionaux n’est pas à l’ordre du jour. Pour l’instant du moins.

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