PEPCY - Toxic and Bioactiv PEPtides in CYanobacteria
 

Difficile, lorsqu’on croise au bord d’un lac les répugnantes mousses verdâtres que leur prolifération génère, d’avoir de la sympathie pour les cyanobactéries. Pourtant, nous devons une fière chandelle à ces primitives créatures. Ces doyennes du vivant (avec plus de trois milliards d’années d’existence) ont fortement contribué à nous rendre l’atmosphère terrestre respirable en y libérant d’énormes quantités d’oxygène. Ce sont, en effet, elles qui auraient « inventé » la photosynthèse, bien avant les algues. Mais la gratitude historique n’y change rien : plus les données s’accumulent, plus il s’avère que les cyanobactéries sont porteuses d’un risque sanitaire réel, sur lequel on sait encore peu de choses. Il est maintenant reconnu que certaines de ces algues bleues, comme on les nommait joliment autrefois, sont capables de sécréter des toxines très actives, notamment sur le système nerveux ou sur le foie, pour les mieux connues d’entre elles (les microcystines). Un certain nombre de tests en laboratoires et de témoignages de terrain attestent, en outre, que les cyanobactéries sont responsables d’empoisonnements de vertébrés de toutes sortes - des chiens aux poissons, en passant par les oiseaux. Il est enfin avéré que ces créatures produisent une grande diversité de peptides (de petites protéines) dont la fonction aussi bien que les propriétés demeurent pour l’essentiel inconnues.

Le « bon » choix des peptides

« C’est cette situation qui a entraîné la mise sur pied du projet de recherche européen Pepcy, explique Ingrid Chorus, de l’Agence Fédérale pour l’Environnement (UBA) allemande, qui en est la coordinatrice. Les toxines des cyanobactéries font partie des cinq types de toxines (avec l’arsenic, le fluor, le plomb et certains pesticides) qui apparaissent le plus fréquemment dans les eaux européennes, et cela à des niveaux de concentrations posant de réels problèmes pour la santé humaine. » Comme beaucoup d’organismes généralement qualifiés de primitifs, par exemple les bactéries ou les champignons, les cyanobactéries sont de très complexes usines chimiques. Les chercheurs de Pepcy ont choisi de se concentrer sur les peptides qu’elles synthétisent. Un « pari » fondé sur le nombre élevé de ces molécules, parmi lesquelles se trouvent en outre la plupart des toxines connues. « Nous nous attendions à une grande diversité, poursuit Ingrid Chorus, mais nous avons néanmoins été impressionnés... Nous avons découvert qu’il y a plusieurs centaines, sans doute un millier, de molécules différentes. Une prolifération pratiquement monospécifique de Planktothrix agardhii s’est avérée, par exemple, contenir plus de 255 substances distinctes, principalement des peptides. Tous ces composés se répartissent en huit ou neuf familles, et nous avons essayé d’étudier en détail au moins un membre de chacune d’entre elles. »

Faibles effets, mais..

Le résultat de cette enquête fut aussi important que surprenant. Ces peptides inconnus semblent avoir des effets... très faibles. Rien à voir en tous cas avec les microcystines ou les nodularines, les deux familles notoirement toxiques. Avec un bémol, toutefois. Les chercheurs de Pepcy n’ont pas mené d’expériences sur des animaux, tels des rats ou des souris. « Ce type d’essai pose, en effet, des problèmes éthiques, et depuis une dizaine d’années, on cherche à s’en passer. On prend donc des lignées cellulaires humaines, ou encore des tissus, des invertébrés ou des oeufs de poissons ou d’amphibiens pour mesurer la toxicité. On ne peut donc pas affirmer à 100 % que les peptides sont inoffensifs car il se peut que les lignées cellulaires utilisées ne soient pas les bonnes. Les microcystines, dont la toxicité pour le foie est bien connue, pourraient ainsi être emmenées à l’intérieur des cellules par des mécanismes de transports destinés à d’autres composés. Une sorte de quiproquo moléculaire, pour ainsi dire... Mais appliquée en laboratoire à une cellule musculaire, par exemple, une telle toxine ne dévoilera pas son effet réel. »

Outre ce résultat, les chercheurs de Pepcy ont mis au point un grand nombre d’outils moléculaires permettant d’identifier, en peu de temps, les types génétiques de cyanobactéries présentes dans un plan d’eau donné. On peut ainsi espérer commencer à comprendre quels composants du milieu (température, nutriments, oxygénation...) favorisent telle ou telle catégorie d’algues bleues - et donc tel ou tel peptide. Car derrière tout cela se cache une énigme fondamentale : à quoi peuvent bien servir ces centaines de molécules protéiques que les cyanobactéries sécrètent avec diligence ? Probablement pas à empoisonner des vertébrés, ce qui n’apporte apparemment aucun avantage évolutif à son porteur. « Peut-être que ces peptides servent à envoyer des messages au sein de la colonie, ou bien à communiquer avec d’autres organismes vivant en symbiose avec les cyanobactéries, hasarde Ingrid Chorus. Mais pour l’instant, ces hypothèses n’ont pas été testées. Je regrette que nous ne connaissions pas la fonction de ces molécules, car cela nous aiderait certainement à comprendre quand elles sont produites - et quand elles sont absentes. »

Eau potable, eaux de baignade

Le volet « santé publique » du dossier n’est pas clos pour autant car si les peptides examinés n’ont que des effets faibles, il n’en va pas de même lorsqu’on prend les organismes entiers. « En prenant de l’extrait brut de cyanobactéries, et non pas seulement des peptides, on observe des perturbations du développement des oeufs d’amphibiens et de poissons, ainsi que d’autres effets toxiques qui restent inexpliqués. Peut-être nous sommes-nous trompés en ciblant les peptides, s’interroge la chercheuse. Après tout, ces cellules sécrètent également d’autres molécules (des alcaloïdes, des polysaccharides, etc.). Sans doute faudrait-il d’autres projets pour explorer tout cela... »

Il est donc probable que, malgré les résultats globalement plutôt rassurants de Pepcy, nous n’ayons pas fini d’entendre parler des cyanobactéries. D’autant qu’il est bien possible qu’elles fassent leur apparition dans la directive européenne consacrée à l’eau potable, à l’occasion de sa révision prochaine. Quant à la directive consacrée aux eaux de baignade, elle les mentionne déjà.

Afin de faciliter la tâche du législateur européen, l’équipe de Pepcy s’est chargée de compiler la prise en compte du problème des cyanobactéries par les législations nationales et de diffuser ce document sur leur site Internet. Elle a également formulé des recommandations basées sur la nécessité d’évaluer les risques au cas par cas. En effet, selon l’utilisation qui est faite d’un plan d’eau (eau potable, pêche, baignade, planche à voile, ski nautique, etc.), et bien sûr selon sa qualité d’eau, la dangerosité est à chaque fois différente. Reste qu’avant de pouvoir gérer sereinement ces étranges unicellulaires, il nous faudra encore percer bon nombre de leurs mystères. Et elles ne semblent pas décidées à faciliter la tâche des chercheurs...

Des activités dopés par les activités humaines

Pourquoi les cyanobactéries sont-elles aussi omniprésentes, du moins dans les eaux douces ? À cause d’un phénomène désormais bien connu, l’eutrophisation des cours d’eau, autrement dit l’excès de nutriments dans le réseau hydrographique. Cette sorte « d’obésité » des lacs et rivières résulte des activités humaines. De l’agriculture d’une part, qui déverse des fertilisants dont une partie n’est pas captée par les cultures et finit dans les eaux douces. Et du développement des rejets domestiques d’autre part, notamment du phosphore, toujours très présent.

Les cyanobactéries, comme l’ensemble du plancton végétal dont elles font partie, sont dopées par cette manne, grâce à laquelle elles sont capables de spectaculaires et très rapides proliférations (les blooms, selon la terminologie classique). Leur effectif augmente alors de façon exponentielle, finissant par teinter l’eau de couleurs bizarres, généralement apparentées au vert mais tirant franchement sur le rouge pour certaines espèces. « L’affaire est aggravée par le nombre croissant de barrages, indique Ingrid Chorus. Les cyanobactéries ne se développent pas dans les eaux rapides, mais le risque augmente dès que le courant ralentit. » Or, au cours des dernières décennies, qu’il s’agisse de petites retenues sur les ruisseaux édifiées par les agriculteurs ou de grands plans d’eau de loisirs à proximité des villes, les rivières ont été de plus en plus souvent hérissées de dispositifs les ralentissant. Enfin, on redoute que le réchauffement climatique ne contribue également à provoquer des proliférations de cyanobactéries - mais pour l’instant cette hypothèse n’a pas reçu de réelle confirmation du terrain.

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