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Biofutur mars 2005 : 264 ; 9-10. Un engouement pour l’alimentation santé et un intérêt pour les collaborations recherche/industrie, tels sont les deux concepts en vogue qui apparaissent derrière l’annonce, fin 2005, d’un partenariat de recherche entre Danone et l’Institut Pasteur sur les probiotiques.
Probiotiques, de la théorie à l’innovation marché
Cette alliance résonne comme un clin d’œil au passé : le premier yoghourt Danone, vendu en pharmacie, a été créé en 1919 par Isaac Carasso avec des souches de ferments lactiques fournies par Elie Metchnikoff, prix Nobel 1908 et directeur de... l’Institut Pasteur.
Pour cet accord-cadre, d’une durée minimale de quatre ans et initié il y a un an, l’objectif est ambitieux : faire progresser les connaissances sur les mécanismes d’action des probiotiques, ces microorganismes vivants, qui, ingérés en quantité suffisante, ont un effet bénéfique sur la santé au-delà des effets nutritionnels traditionnels. On peut citer en exemples Lactobacillus sp. ou Bifidobacteria sp. Face à ce vaste programme, l’idée est de conjuguer compétences et savoir-faire : une connaissance et une maîtrise de la mise en œuvre des bactéries lactiques ainsi qu’une souchothèque de quelque 3 000 souches du côté de Danone et l’ expertise de l’Institut Pasteur en microbiologie, physiopathologie et interactions hôte / bactérie, ainsi qu’une série d’outils et de modèles d’étude in vitro et in vivo.
C’est autour de quatre axes que se concentreront les efforts de recherche : résistance aux infections, inflammation, allergies et génomique des probiotiques. Pour les trois premiers axes, l’idée est de déterminer les modèles pertinents et l’impact potentiel des probiotiques sur les infections bactériennes et virales, les phénomènes inflammatoires de type maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique, ou encore les manifestations allergiques, de plus en plus répandues aujourd’hui. Dans une vision transversale, l’approche génomique vise, au-delà du séquençage de L. casei defensis ou de B. essensis, réalisé en partenariat avec l’Inra, une meilleure compréhension du génome des probiotiques.
Encore en cours de formalisation, les projets démarrent peu à peu : identification des marqueurs et des modèles, sélection et comparaison des souches et approche mécanistique autour de questions telles que le passage de la barrière intestinale ou le mode d’action des probiotiques au sein de ce « gros fermenteur » qu’est le tube intestinal. Avec l’espoir, en explorant le potentiel de quelques centaines de souches de la souchothèque de Danone, d’identifier quelques candidats probiotiques d’intérêt et d’en décrire les premiers effets santé d’ici quatre ou cinq ans. D’ici là, des publications scientifiques sont prévues.
En attendant, de part et d’autre, on se félicite de ce partenariat qualifié d’équilibré et d’ équitable, en termes de moyens humains (une vingtaine de chercheurs côté Danone) et financiers. C’est un « retour aux sources », l’Institut Pasteur, via Elie Metchnikoff, ayant été parmi les premiers à s’intéresser à l’effet des bactéries lactiques sur la santé, et un partenariat « très courageux de la part de Danone car les résultats ne seront pas forcément ceux espérés », selon François Gendre, directeur des applications de la recherche et des relations industrielles à l’Institut Pasteur, qui prêche pour la vérité scientifique avant tout discours marketing.
Pour Olivier Goniak, chef de groupe « Bénéfices digestifs et immunitaires » du Centre de recherche Daniel Carasso à Danone Vitapole, il s’agit de « la mise en place d’un double turbo, permettant d’accélérer la science et la compréhension des mécanismes grâce aux outils et aux compétences de Pasteur et d’identifier de nouvelles souches pour de nouveaux produits avec de nouveaux bénéfices santé ». Car pour Danone, l’idée est de « transformer l’essai dans une logique d’élargissement de la palette des produits santé ».
Recherche et industrie : un partenariat d’avenir ?
Tout un programme pour le groupe Danone, numéro 1 mondial dans les produits laitiers frais, qui réaffirme son positionnement en nutrition et santé, comme en témoigne la Charte alimentation, nutrition et santé lancée en mars 2005. Chez Danone, on prône « une gestion de la bonne santé de chacun via une alimentation saine et équilibrée » et on s’engage pour l’éducation, la transparence, l’ amélioration des profils nutritionnels des produits et la validation scientifique des allégations santé, dans un axe préventif et loin de tout positionnement curatif. C’est sans nul doute un créneau porteur à l’heure des « maladies de civilisation » (obésité, diabète...) et alors que la nutrition et la santé sont des vecteurs clefs de croissance dans l’industrie agroalimentaire.
En suivant la demande, en lançant de nouveaux produits (Senja, une spécialité au soja) et en misant sur la recherche, notamment via des partenariats ciblés, Danone, aujourd’hui recentré sur trois métiers, produits laitiers, eau et biscuits / céréales, détient peut-être la bonne recette.
Si l’accord-cadre entre Danone et l’Institut Pasteur sur les probiotiques trouve son origine dans une collaboration lancée il y a quatre ans dans le cadre d’une thèse et de travaux sur l’immunité et l’inflammation (avec un brevet en cours de dépôt), c’est aussi un exemple de deux stratégies de partenariat recherche / entreprise.
Chez Danone, l’interaction avec la communauté scientifique passe par des collaborations autour de programmes ciblés, l’organisation de manifestations ou un réseau de 15 instituts Danone à travers le monde. Un des derniers exemples d’une volonté d’implication dans la recherche sur les interactions entre alimentation et santé : l’annonce, le 6 janvier 2006, de la signature d’un accord de partenariat entre Danone et la Fondation cœur et artères.
À l’Institut Pasteur, assis sur un trépied recherche et enseignement, santé publique et valorisation, on envisage les collaborations sur trois niveaux : le partenariat, notamment pour l’exploitation de licence ou de brevet, le contrat de recherche sur un projet ciblé ou le mécénat. Et si les partenariats avec l’ industrie sont fréquents, l’accord avec Danone marque un renouveau d’une tradition pasteurienne orientée vers la microbiologie alimentaire et montre que « Pasteur a une carte à jouer dans l’agroalimentaire ». Au-delà des stratégies, ces collaborations sont l’occasion de « mieux se connaître et de réunir autour d’un projet commun deux communautés scientifiques », finalement pas si différentes.
Peut-être une réponse au souhait de « décloisonnement entre disciplines, entre recherche fondamentale et recherche appliquée, entre recherche publique et recherche privée... », lancé par Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères, lors d’un débat à Toulouse sur l’économie de la connaissance.
C’est sans nul doute un concept en vogue, qui s’inscrit dans la dynamique des pôles de compétitivité, des instituts Carnot et autres initiatives incitant à la collaboration recherche - entreprise et à la valorisation de la recherche vers le marché.
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